Un des enjeux majeurs sera de tenter de prédire la fonction ovarienne et la fertilité à l’issue des traitements. Si l’âge, le statut folliculaire ovarien, le type et les doses de chimiothérapie et/ou radiothérapie permettent d’estimer le risque que la fertilité soit compromise, de nombreux facteurs encore indéterminés vont être mis en jeu. Ainsi, il est actuellement impossible de prédire avec certitude la fertilité d’une jeune femme devant recevoir un traitement gonadotoxique. Par ailleurs, l’ajournement des projets de grossesse, pendant deux à cinq ans, en fonction de la pathologie, contribue également à altérer la fertilité, par effet de la perte folliculaire physiologique.
Les spécificités de la folliculogenèse rendent l’autoconservation des gamètes féminins plus complexe que chez l’homme. En effet, chez la femme, il existe une notion de réserve ovarienne. Le stock folliculaire est constitué par un capital définitif et génétiquement déterminé de cellules germinales formées au cours de la vie fœtale, et ce, pour la totalité de la vie reproductive. Dès la naissance, il existe une diminution de la réserve ovarienne folliculaire par des phénomènes d’atrésie, expliquant la baisse progressive de la fertilité chez la femme avec le temps.
Tout au long de la vie génitale active (de la puberté à la ménopause), l’ovaire est le siège de follicules à différents stades de maturation. La formation d’un follicule pré-ovulatoire, depuis la réserve de follicules primordiaux déterminée à la naissance, dure environ six mois. L’ovocyte mature ainsi produit est caractérisé par sa grande taille et sa forte concentration hydrique, le rendant fragile et difficile à congeler.
Ce sont principalement l’âge, le statut folliculaire ovarien, le type de cancer, la gonadotoxicité et la date prévue de début des traitements qui conditionnent la stratégie de préservation de la fertilité.
La majorité des équipes s’accorde à fixer une limite d’âge à 40 ans.
Les traitements gonadotoxiques
Chimiothérapie
Le risque précis d’insuffisance ovarienne est souvent difficile à évaluer car la gonadotoxicité dépend de :
– L’âge de la patiente
– La réserve ovarienne initiale
– La chimiothérapie : types, associations, doses cumulées
– La sensibilité individuelle
Les chimiothérapies sont classées en 3 classes : risque élevé, moyen ou faible d’insuffisance ovarienne prématurée (IOP). Certains protocoles ont un risque prévisible supérieur à 90 % d’induire une IOP, comme ceux utilisant les agents alkylants à forte dose. Les traitements actuels semblent souvent moins toxiques que ceux délivrés dans les années 90 mais l’évolution rapide des protocoles thérapeutiques ne permet pas d’avoir un recul suffisant pour évaluer les conséquences sur la fertilité des médicaments ou associations de médicaments récents (thérapies ciblées, immunothérapies, …).
Agents cytotoxiques classés en fonction de leur gonadotoxicité :
- Risque élevé : Busulfan, Chlorambucil, Cyclophosphamide, Ifosfamide, Thiotépa, Melphalan, Dacarbazine, Procarbazine
- Risque moyen : Doxorubicine, Carboplatine, Cisplatine
- Risque faible : Vincristine, Méthotrexate, Bléomycine
Radiothérapie
La gonadotoxicité est liée soit à :
- L’irradiation directe des ovaires : La déplétion du stock de follicules primordiaux est fonction de la dose, de l’âge de la patiente et du fractionnement utilisé.
La dose au-delà de laquelle plus de 50% des ovocytes sont détruits (DL50) est inférieure à 2 Gy chez l’adulte. La dose stérilisante est de 20 Gy naissance, 18 Gy 10 ans, 16,5 Gy à 20 ans et 14 Gy à 30 ans et 8Gy à 40 ans.
L’irradiation des ovaires peut également être associée à l’irradiation de l’utérus. Une irradiation utérine de 14 à 30 Gy entraîne une fibrose avec une diminution de sa vascularisation et de son élasticité entraînant un risque accrue de fausses couches répétées, d’accouchements prématurités et de retard de croissance intra-utérin en cas de grossesse. D’autre part, les lésions utérines sont d’autant plus importantes que la patiente est jeune lors de l’irradiation. - L’irradiation corporelle totale associée à des fortes doses d’alkylants entraîne le plus souvent une insuffisance ovarienne prématurée.
- L’irradiation hypophysaire, ou crânio-encéphalique > 24 Gy, peut également entraîner un retentissement sur le bon fonctionnement de l’axe gonadotrope.
Chirurgie
Toute chirurgie ovarienne (kystectomies itératives, ovariectomie) est à risque d’altérer la réserve ovarienne folliculaire par amputation ovarienne.
Dans certains cancers gynécologiques (ex : cancer de l’ovaire stade Ia, cancer de l’endomètre, cancer du col) découverts à un stade très précoce, il est possible, avec l’accord des oncologues, de préserver l’utérus en vue d’une future grossesse.
Cependant, en cas d’hystérectomie, l’indication de préserver des gamètes reste débattue. En effet, la Grossesse Pour Autrui et la greffe d’utérus sont encore interdites en France. En 2015, la première naissance après greffe d’utérus a été publiée en Suède.
Les techniques de préservation de la fertilité
1. Stimulation ovarienne pour vitrification ovocytaire ou embryonnaire
La stimulation ovarienne en vue d’un recueil d’ovocytes maturés in vivo constitue actuellement la technique de référence.
Cette technique s’adresse à toute femme pubère ne présentant pas de contre-indication à la stimulation et dont le début du traitement gonadotoxique peut être différé d’environ deux à trois semaines, correspondant à la durée nécessaire à la stimulation. En effet, la stimulation doit être réalisée avant tout traitement gonadotoxique.
Cette technique n’est pas utilisable lorsque l’urgence à débuter le traitement prime ou lorsque de la chimiothérapie a déjà été débutée.
Le principe est de stimuler des follicules antraux par des injections de l’hormone folliculostimulante (FSH) exogène pendant une dizaine de jours afin de recueillir, par ponction transvaginale, des ovocytes matures qui seront vitrifiés. Cette stimulation peut être débutée à n’importe quel moment du cycle avec un taux de recueil ovocytaire identique en phase folliculaire et lutéale. Le traitement de stimulation ovarienne nécessite une surveillance biologique et échographique rapprochée.
Bien que plus récente, la congélation ovocytaire a subi au cours de la dernière décennie des avancées majeures, notamment avec le développement de la vitrification. Le taux de survie ovocytaire après décongélation est désormais de l’ordre de 80 % conduisant pour certains centres à des taux de grossesse similaires à ceux obtenus avec des ovocytes frais. La cryopréservation ovocytaire représente actuellement la seule option pour les patientes célibataires.
Pour une patiente en couple en cours de projet parental au moment de la préservation de la fertilité, il est possible de congeler des embryons. Les ovocytes matures sont fécondés par fécondation in vitro standard ou par intracytoplasmic sperm injection (ICSI). Le taux de fécondation est en moyenne de 60 %. Les embryons pourront être vitrifiés après 2 ou 3 jours. Les taux de survie après dévitrification sont excellents, de l’ordre de 95 %. La législation française implique que la décongélation des embryons ne puisse se faire qu’à la condition où la demande émane des deux membres du couple. Le transfert intra-utérin des embryons nécessitera une préparation endométriale par traitements hormonaux.
La réutilisation des gamètes ou des embryons ne pourra se faire qu’après accord de grossesse par le médecin oncologue. Les chances de grossesse sont conditionnées par différents facteurs, notamment l’âge de la femme au moment du prélèvement ovocytaire et le nombre d’ovocytes congelés.
En France, la réutilisation ultérieure se fait dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation (AMP) pour une patiente :
- En couple hétérosexuel
- De moins de 43 ans
- Après réévaluation de la réserve ovarienne et de la cavité utérine
- En rémission et en concertation avec l’oncologue
- Pris en charge à 100% par la Sécurité Sociale
2. Vitrification ovocytaire ou embryonnaire sans stimulation : maturation ovocytaire in vitro (MIV)
La maturation ovocytaire in vitro (MIV) consiste à cultiver au laboratoire les ovocytes immatures (recueillis aux stades de vésicule germinative ou de métaphase I) dans le but d’obtenir des ovocytes matures (au stade métaphase II) vitrifiables et/ou fécondables.
Les complexes cumulo-ovocytaires obtenus par ponction transvaginale échoguidée des petits follicules antraux, sous sédation, sont mis en culture pendant 24 à 48 h, en vue d’obtenir des ovocytes matures. Seuls les ovocytes ayant maturés in vitro seront aptes à être vitrifiés ou fécondés. Une des limites de cette technique reste le recueil ovocytaire relativement aléatoire. Par ailleurs, à l’issue du processus de MIV, seule la moitié des ovocytes atteindront le stade de métaphase II. Enfin, le potentiel des ovocytes et embryons vitrifiés après MIV est moins bon que lorsque les ovocytes sont obtenus après stimulation ovarienne.
3. Analogues de la gonadolibérine
L’objectif de l’administration d’agoniste de la gonadolibérine (GnRH) en cours de chimiothérapie est de mettre au repos l’axe hypothalamo-hypophysaire, afin de protéger le stock de follicules primordiaux, via une déprivation en FSH. Le rationnel de l’utilisation de ces traitements en cours de chimiothérapie reste très controversé, de même que leur efficacité. Actuellement, il n’y a aucun argument pour les proposer en systématique en vue d’une préservation de la fertilité. Leur intérêt pourrait tenir principalement à ce qu’ils constituent une bonne méthode contraceptive parentérale, sans saignements vaginaux.
4. Cryoconservation de tissu ovarien (cortex)
Il s’agit d’une technique dont l’objectif est de cryoconserver du tissu ovarien et ses follicules de réserve. Elle consiste en un prélèvement chirurgical d’un fragment de cortex ovarien, par cœlioscopie, sous anesthésie générale. Les fragments de corticale ovarienne sont congelés selon un processus de congélation lente. Les follicules primordiaux et primaires, très résistants au processus de décongélation, pourront être transplantés ultérieurement par autogreffe avasculaire, en orthotopique (cavité pelvienne) ou en sites hétérotopiques (avant-bras, paroi abdominale). La transplantation du cortex permet de récupérer une fonction endocrine et exocrine. Cependant, il existe un risque de réintroduction de cellules malignes et dans certains cancers, cette technique est, de ce fait, contre indiquée.
Le nombre de grossesses obtenues dans le monde est, aujourd’hui, en augmentation exponentielle. En France, la greffe de cortex ovarien se fait dans le cadre de protocole de recherche et une dizaine de grossesses sur 67 patientes transplantées sont décrites (données du GRECOT 2017).
C’est la seule technique possible si une chimiothérapie a déjà été débutée. Cependant, elle est limitée aux patientes à très haut risque d’IOP car elle induit une amputation de la réserve ovarienne.
5. Transposition ovarienne
Cette technique chirurgicale a initialement un objectif de préservation de la fonction ovarienne endocrine avant irradiation pelvienne (>6 Gy) pour des cancers, avec un utérus fonctionnel en place, chez des femmes de moins de 40 ans.
Le principe est de fixer, par cœlioscopie, un des deux ovaires (classiquement le droit) ou les deux en dehors de son hémipelvis, à au moins 3 cm au-dessus de la limite du champ d’irradiation afin de diminuer la dose reçue à moins de 2 Gy. Un clip métallique est posé à la partie inférieure de l’ovaire, pour marquer sa position et aider au repérage de la radiothérapie. La transposition ovarienne d’un côté peut être associée à la cryoconservation de l’ovaire controlatéral.
La transposition ovarienne reste cependant difficile à évaluer. En effet, si une production hormonale est le plus souvent récupérée, la quantité ainsi que la qualité ovocytaire post-transposition restent altérées. Les grossesses peuvent être obtenues naturellement ou après fécondation in vitro sans repositionnement des ovaires (recueil ovocytaire par voie transabdominale). Par ailleurs, l’utérus ayant été exposé à la radiothérapie, surajoute une difficulté à l’obtention d’une grossesse. Enfin, certaines complications sont spécifiquement associées à la transposition ovarienne, notamment la défixation de l’ovaire, les douleurs pelviennes chroniques, l’infarctus de la trompe laissée en place et les kystes ovariens (30-40 %).
6. Folliculogénèse in vitro
La folliculogenèse in vitro consiste à induire in vitro une croissance folliculaire et une maturation ovocytaire à partir de fragments de tissu ovarien. Il est encore au stade de la recherche chez l’humain. Cette technique aurait un intérêt dans les pathologies à risque de réintroduction de cellules malignes.
7. Alternatives
Pour des raisons médicales ou bien parce que la patiente n’a pas souhaité réaliser de préservation de la fertilité, le recueil de gamètes n’est pas toujours possible. La patiente pourra être revue à distance de la fin des traitements gonadotoxiques. Une nouvelle évaluation de sa réserve ovarienne pourra être réalisée et la patiente pourra être conseillée sur son futur projet de parentalité. Parfois une technique de préservation de la fertilité (stimulation ovarienne avec vitrification ovocytaire) peut être réalisée.
Le projet de parentalité peut également passer par :
- Le don d’ovocytes : des ovocytes sont attribuées (sur caractéristiques physiques, groupe sanguin, ..) à la patiente et mis en fécondation in vitro avec les spermatozoïdes de son conjoint. Une fois obtenus un ou deux embryons sont repositionnées dans la cavité utérine après préparation endométriale. Cette technique est réalisée au sein de centres d’Assistance Médicale à la procréation agréés et est prise en charge à 100 % par l’Assurance Maladie.
Agence de Biomédecine : don d’ovocytes
- L’adoption : www.adoption.gouv.fr
Télécharger le tableau d’avantages et inconvénient des différentes techniques de préservation de la fertilité féminine.